Dans le Nord de la France, l’usine d’Hervé est délocalisée. Une grève s’organise, mais Hervé ne souhaite pas se battre. Avec l’indemnité, il achète un bateau et tente une reconversion de pêcheur dans laquelle il associe son fils. En Tunisie, Foued est embauché dans l’usine délocalisée (au poste d’Hervé) ce qui lui permet de financer le coûteux traitement de sa mère malade. Il s’accroche au rêve de promotion au poste de chef d’atelier, et espère séduire la fille qu’il aime, ouvrière dans la même usine.
Vent du Nord est un petit film social sur deux ouvriers qui ont a priori peu en commun mais qu’un fil invisible relie avec cette délocalisation. Plutôt que de les opposer et, comme les patrons du film, de les mettre en concurrence, Walid Mattar fait intelligemment se croiser leurs trajectoires au propre comme au figuré. Les contextes sont différents mais les schémas de domination identiques.
Constat amer pour le prolétariat
Hervé a plus de trente ans de boîte. Quand l’usine ferme, il accepte l’indemnité espérant rebondir avec son projet de pêche. Le réalisateur n’en fait pas un « jaune », un traître. Non, juste un ouvrier candide et désabusé qui ne croit pas à une lutte syndicale perdue d’avance où seule la dignité ouvrière semble encore à défendre. Il mesure mal les tracasseries et autres absurdités administratives humiliantes qui l’attendent. Alors, c’est la petite débrouille qui va le faire avancer dans son projet. Un rêve auquel s’associe sa famille : son fils qu’il motive et sa femme qui lui trouve des clients en porte-à-porte.
On pense à tout un pan du cinéma britannique. Mais là où les chômeurs de Raining Stones de Ken Loach ou les mineurs de Billy Elliott agissaient collectivement (ou au moins à plusieurs) et avec une lecture politique, Hervé croit pouvoir y arriver seul. Le constat est amer pour un prolétariat atomisé qui ne pense plus « émancipation collective » mais « s’en sortir seul », devenir chef (chef d’atelier pour Foued, son propre chef pour Hervé).
De l’autre côté de la Méditerranée, les rêves de Foued volent aussi en éclat. Le travail à l’usine est abrutissant et point de promotion sociale promise. Par petites touches le film nous parle aussi de la Tunisie actuelle, d’une lutte des classes que le Printemps Arabe n’a pas réglée, des salaires de misère, de la galère pour se soigner, de la précarité qui empêche de se projeter. L’horizon est bouché pour Foued ; quel autre choix que l’exil ?
Un regard juste sur la classe ouvrière
Dans une très belle scène en champ contre-champ, les trajectoires d’Hervé et Foued se frôlent. Le prolo du Nord venu se payer des vacances en Tunisie croise sans le savoir celui à qui l’on a donné son boulot et qui rêve de faire le chemin inverse vers « l’Eldorado » français. Les situations des deux sont souvent en miroir (que symbolise bien le contre champ évoqué plus haut) : pour Hervé, la famille est un soutien ; pour Foued, elle est un poids (sa mère) ou un projet inaccessible (fonder une famille). En vacance en Tunisie, la femme d’Hervé ne veut plus partir ; Foued ne rêve plus que de ça.
Le film n’a pas la densité politique d’un Ken Loach. Plein d’humour, il n’en pas non plus le dogmatisme et la pesanteur. Il ne propose pas de solution mais dresse un constat lucide sur un capitalisme qui fabrique des déclassés au Nord et des exploités au Sud, sans grand espoir ni misérabilisme. Et il le fait avec cette belle idée de chemins qui se croisent, et surtout un regard très tendre sur ses personnages ouvriers incarnés par des acteurs excellents.
Le film offre enfin un rôle de premier plan au génial Philippe Rebbot. Avec sa grande carcasse, son visage taillé à la serpe et son air benêt de gentil clown triste, il est parfait en Hervé. Corinne Masiero est comme d’habitude d’une justesse incroyable. Kacey Mottet Klein vient compléter cette famille attachante.
Vent du Nord, de Walid Mattar (1h29)
et ben la on a envie mine de rien.
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